La beauté dans le chaos : GODSPEED YOU! BLACK EMPEROR au Trianon (06/10/24).

Written by Uncategorized

Le 6 octobre 2024, un dimanche pluvieux. Bientôt un an d’escalade de massacres entre Israël et ses voisins (bien plus, en fait). Sorti vendredi dernier, le nouvel album de Godspeed You! Black Emperor, « NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024 28,340 DEAD », ne fait que constater la triste réalité de faits. Et le groupe ne peut qu’admettre l’impuissance des mots.

“NO TITLE= what gestures make sense while tiny bodies fall; what context?; what broken melody?”

Pourtant, et malgré toutes ces horreurs quotidiennes, c’est bien avec « Hope Drone » que les huit musiciens du groupe entrent ce soir sur la scène du Trianon qui affiche complet, avec la croyance indéfectible que ce mantra d’espoir prendra corps à quelque moment, quelque part.

Mais avant ça, petit retour en arrière sur la prestation de Tashi Dorji en première partie. Jouée comme une sorte de répétition pour le spectacle à venir, la musique de ce guitariste solo évoque une version concerto de poche de GY!BE. Munie de sa guitare folk électrifiée, Tashi développe un jeu plein d’effets de delay ou de boucles. Cette longue et unique litanie décline pendant plusieurs dizaines de minutes une grande variété de possibles à la 6 cordes, et forme une prestation qui peut rebuter, ennuyer ou passionner selon l’état de forme de celui qui l’écoute. En tout cas, le musicien bhoutanais avait clairement sa place ici pour introduire la soirée.

Godspeed You! Black Emperor est, et reste, le groupe-étalon du post-rock et même son absolu : par la finesse de son jeu, son sens de la narration et une approche organique du son, il prend toute son ampleur en live. C’est en tout cas le constat que l’on fait après plus de deux décennies de leur présence au sein d’une scène parfois stéréotypée et paresseuse. Disons-le de suite, nous étions à la place idéale pour apprécier l’expérience GY!BE en live : tout devant. À défaut d’être sur la scène, c’est ici que l’ampleur du son se ressent le mieux, presque au centre de ce demi-cercle que les musiciens et leur amplis forment pour créer un fracas de rythmes et de mélodies, dans un son spatialisé qui en fait ressortir toutes les subtilités. Et malgré le choix de jouer dans la pénombre, c’est ici qu’on constate aussi à quel point le groupe se regarde, s’écoute, s’attend, loin d’un show froid et millimétré. Un détail touchant : le fait que les musiciens se tournent régulièrement vers les écrans où sont projetés les films en 16mm de leurs acolytes vidéastes, pour s’inspirer, s’imprégner, s’en émouvoir même.

La setlist est en grande partie dédiée au dernier opus, joué avec une fougue et une science de la dynamique qui en déploie les effets. Sur « BABYS IN A THUNDERCLOUD », l’alliance des deux basses électriques nous remue les tripes pendant que les couches de guitares nous maltraite les oreilles (consentantes heureusement). Sur « PALE SPECTATOR TAKES PHOTOGRAPHS », la batterie frappe comme un marteau et résonne jusque dans les lattes du sol du Trianon puis dans nos pieds et dans nos corps. La cavalcade effrénée de Cliffs Gaze nous entraîne et nous laisse entrevoir, enfin, cet espoir évoqué plus tôt. Enfin, après 1h30 de tempête, une boucle entêtante de Thierry Amar à la contrebasse annonce les flammes finales de « World Police and Friendly Fire » issu du mythique « Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven », où la beauté des images pellicules se mêlent au fracas des couches de sons sortis des huit musiciens au maximum de leur symbiose.

Une réflexion finale : GY!BE joue une musique hantée par de nombreux fantômes. On les entend dans les voix des samples qu’ils usent, dans les mélodies de violon de Sophie Trudeau, dans les guitares hurlantes d’Efrim Menuck et de Michael Moya, ou même dans les derniers crachats d’un ampli à lampes secoué par Timothy Herzog lors d’une outro où la musique des groupe sonne encore de longues minutes après la disparition des musiciens.

Il y aurait-t-il encore de l’espoir ?

“war is coming.

don’t give up.

pick a side.

hang on.

love.

GY!BE”

Last modified: 8 octobre 2024