L’année sera psyché ou ne sera pas. Et chaque mois apporte son lot d’explorations stellaires barrées à haute teneur en choucroute (rock) de l’espace et autre carburant psychotrope. Oui, 2024 sera la fête du Slift mais pas que. Tout ce revival psychédélique dont on ne cesse de louer les qualités est régi par un seul et même mot d’ordre : une liberté totale en matière d’expérimentation repoussant à chaque disque les limites de ce que l’on pensait être les confins de notre perception musicale.
Parmi les stakhanovistes du genre aux côtés de Carlton Melton ou plus récemment Kanaan, citons aujourd’hui les Écossais The Cosmic Dead, également adeptes de voyages en théière volante, qui placent en orbite leur (déjà) neuvième album « Infinite Peaks ». Qu’importe le résultat, explorer, triturer, bidouiller sont les maîtres mots ici. Coûte que coûte. Il en ressort des fulgurances telles que « The Cosmic Dead » (2011), « Easterfaust » (2014) mais surtout l’excellent « The Exalted King » (2012), LSD sonique en vente libre. Cette formation à géométrie variable, qualifiée de « groupe rock psychédélique le plus bruyant de la planète » atteint bien souvent des niveaux de destruction sonore inespérés, comme si Hawkwind n’avait jamais cessé de jouer « Doremi Fasol Latido ».
L’ensemble se décompose en deux longues sessions instrumentales s’étalant sur plus de vingt minutes. « Navigator #9 », la première face, apporte son lot de nouvelles sonorités. Les violons hululent et crissent sur de longs motifs de guitare qui reviennent telle une itération. L’immuable montée en puissance donne des sueurs froides. L’angoisse provoquée par cet entrelacs est des plus saisissantes; elle est quasiment stoppée nette, en plongeant dans une atmosphère des plus vaporeuses, après avoir franchi un premier apex chaotique et cyclopéen, première incantation aux dieux du bruit et du chaos ! Du brouillard shoegaze resurgissent des violons fantomatiques, au rythme des percussions hypnotiques, comme pour étourdir et désorienter l’auditeur. Mais ce n’est que pour mieux nous leurrer et laisser au final se déchaîner guitare et batterie frénétiques dans un duel de titans, tout juste bon à vous griller les neurones.
Abasourdi par ce déluge, la jam suivante intitulée « Space Mountain » vous catapulte en 1970 au milieu d’une orgie sonore des freaks chevelus d’Amon Düül. En plein trip acide, surgirait un Lemmy venu réinterpréter « Yeti » mais à sa façon, avec fracas et fureur. Tel un ange cosmique vengeur, son ardeur à l’ouvrage inciterait le reste de l’équipage à se lâcher complètement. C’est à peu près ce qui se passe sur ce jam, passée l’improvisation semi-orientale, se fondant dans une brume cosmique tel un sucre dans l’absinthe. Le groupe tout entier rentre furieusement en résonance, propulsé par une section rythmique tonitruante et soutenue par des bruitages synthétiques d’un autre temps, d’une autre galaxie. Le tout s’embrase de la couleur d’une lave rouge incandescente, préparant une éruption finale qui sait se faire attendre. Toute la subtilité réside dans ce crescendo, crispation continue jusqu’à la rupture, jusqu’à l’instant où tout se brisera pour mieux se recomposer ensuite. On n’imagine pas meilleur happening pour leur prochain live.
En amateur de la chose psyché, j’avais tendu l’oreille pour suivre les pérégrinations sonores de The Cosmic Dead, sans toutefois retenir la formation comme un marqueur du genre. Il faut dire que sa musique n’est pas forcément la plus accessible. Sans faire preuve d’élitisme, il peut être difficile pour un non initié de se laisser happer par le dépaysement de leur jams. Ces deux transes représentent certainement ce que le groupe a produit de mieux jusqu’alors : un trip déjanté et furieux, sachant être expressif sans se compromettre. « The Infinite Peaks » peut donc être considéré comme leur meilleur album à ce jour, entre accessibilité (allez, osons le mot) et exigence psyché (oui, osons aussi).
Alors, 2024, année psychédélique ? Définitivement.
Last modified: 10 avril 2024