Greyborn trace sa route. Évitant les pièges et détournant les figures imposées, le trio de Limoges nous revient avec “Scars”, un second EP plus puissant, plus ambitieux et plus lourd que son prédécesseur. Toujours auto produit, cette sortie est donc d’autant plus importante à mettre en avant dans notre scène qui a, avouons le, tendance à trop se reposer sur les sorties des 5 ou 6 labels majeurs du genre. Décryptons ensemble cette bouffée de fraîcheur et de lourdeur qu’est “Scars”.
La trajectoire est connue. Depuis bientôt deux décennies en France, les groupes de stoner rock tanguant du côté le plus moderne du spectre finissent invariablement par virer au rock pop plus pompeux, moins lourd et moins abrasif. De sorte que le paysage stoner rock français se scinde entre ceux qui viennent garnir les plateaux pop rock généralistes et ceux qui s’enfoncent dans le vintage et les hommages trop appuyés aux 70’s ou partent dans des niches ultra spécifiques. J’ai plus d’appétence pour ces derniers mais notre scène a besoin, pour vivre, de groupes plus modernes pouvant servir de porte d’entrée qualitative à tout un univers.
Et puis il y a Greyborn. Parce que pour une fois, on est face à un groupe qui semble chercher à mêler ses influences les plus pop et les plus pêchues sans la moindre concession. Résolument moderne et pourtant massif. Définitivement rock mais incontestablement desert rock / stoner, Greyborn se forge un destin rare dans l’hexagone et ce n’est pas ce deuxième EP qui va nous faire mentir.
Les cinq pistes de “Scars” ont toutes plusieurs points communs. D’abord, la puissance. Entre cette basse ronde mais chargée en distortion et cette guitare aux mediums des plus sauvages, on navigue en plein dans ce que le Stoner rock a proposé de plus efficace et séduisant dans les années 2000. Côté batterie, la production reste très naturelle et pour avoir vu le combo en live, on est très proche du son qu’on prend dans la gueule quand ils ouvrent pour Mondo Generator ou Nebula. Pour le chant, Greyborn a décidé que celui-ci serait très légèrement en retrait, accentuant de ce fait la filiation Stoner déjà des plus évidentes sur cet opus.
Outre cette production qui oscille donc entre un grain moderne et une lourdeur stoner, il y a les compositions. Et c’est sûrement sur ce point que la progression est la plus notable pour Greyborn. Si jusque là, c’est leur énergie et leur fraîcheur qui avait séduit. Il y a ici une maîtrise bien plus marquée des structures et des arrangements. Les refrains et les mélodies restent en tête. Les parties de guitares, que ce soit les riffs ou les leads, ont toutes ce petit quelque chose qui vient accrocher l’oreille. Et chaque titre vient étendre sensiblement le domaine des possibles pour le trio et ce sans jamais perdre en cohérence.
Ainsi, l’ouverture sur l’éponyme “Scars” nous marque par une noirceur insoupçonnée, ce grain de fuzz voluptueux et ces riffs de guitares nous rappellent les belles heures de Dozer ou les premières sorties de Qotsa, là où le chant évoque davantage Lowrider. “Ravenous” est le premier single et c’est un titre tout bonnement jouissif. Quasi noise rock par sa dissonance, le riff principal est du genre à rentrer dans votre boîte crânienne pour n’en jamais sortir. Une réussite totale.
Avec “A Thousand Dreams Away”, c’est à une facette plus bruitiste et ambiante que nous sommes confrontés avant que la batterie façon “you think I ain’t worth a dollar but I feel like a millionaire” nous cueille à froid pour un rendu résolument désert rock, efficace et rock n’roll. Si certains y verront un hymne énergique digne de la bande son de « RocknRolla », la prod rugueuse permet à celui-ci de se distinguer de la meilleure des manières.
“Tetany” est un simple interlude posé et délicat avant que “The Grand Design” viennent conclure l’EP de manière héroïque. Plus lourd, plus épique encore, s’offrant même le luxe d’un finish quasi doom.
Qu’on se le dise, cet EP est une franche réussite dans un registre, à la croisée des genres, ô combien difficile à perfectionner. Les Limougeauds parcourent depuis déjà quelques années l’hexagone, solidifiant sur la route une identité sonore qui s’affine encore davantage avec cet EP. Combien de futurs festivaliers d’un Desertfest Nantes (première édition en 2032, vous l’aurez lu ici en premier) nous expliqueront qu’ils sont tombés dans le stoner en écoutant Greyborn ? Les paris sont ouverts.
Last modified: 27 mars 2024