Si le vendredi fut une mise à l’épreuve de la capacité du festivalier (la nôtre comprise) à accepter l’éclectisme dans la violence, à laquelle la Valley ne nous avait jusque-là pas habitué, nous prenons le chemin de ce troisième jour au Hellfest confiants quant à la sélection de groupes que nous avions faites au préalable. (TEXTE : Lord Pierro & Yannick K. // PHOTOS : Sylvain Golvet)
Comme la veille, c’est un groupe belge qui démarre mais en Main Stage 2, tout d’abord devant un parterre clairsemé mais qui va rapidement se garnir, malgré la chaleur déjà pesante. Cobra the Impaler évoluent entre du metalcore sauvage et des inspirations proches de Mastodon par le côté prog de leur son, ce qui ravit la fosse qui commence déjà à s’agiter. Leur prestation mordante est une découverte agréable pour débuter la journée.
Non loin de là, cela fait du bien d’entendre (enfin) des sonorités plus proches des standards habituels de la programmation de la Valley avec Decasia. Désormais bien établi dans le paysage du stoner français, la Valley était un passage obligé pour les Nantais afin de faire connaître leur album baptisé “An Endless Feast For Hyenas”. Visiblement content d’être désormais “de l’autre côté”, Decasia jongle avec brio entre power psyché moderne et rock bouillonnant.
En 2019, ils jouaient au Metal Corner. C’est maintenant sur la Warzone que Hard Mind est invité à foutre le feu au pit. Et en matière d’attaques brutales on sera servi puisque les Rennais se font un malin plaisir d’asséner leur hardcore beatdown ultra codifié (donc prévisible) mais pourtant terriblement efficace. Leur prestation pourrait finalement se résumer au tatouage du growleur en chef : “Violence Forever”. C’est la bagarre dans le pit, la marque d’un set réussi.
L’une des preuves que le festival a changé, c’est qu’à 11h40 la foule est dense et compacte devant la Main Stage 2. Qui est tant attendu pour que les festivaliers aient daigné quitter leurs tentes si tôt ? Un groupe indien dont c’est la première venue : Bloodywood. Mêlant neo metal, sonorités indiennes, gros riffs et instruments traditionnels, c’est une vraie surprise de qualité !
Vendu comme un projet doom, Spirit Adrift sonne plutôt comme un revival NWOBHM tant musicalement que visuellement. C’est grandiloquent à souhait, chose qui ne déplaît pas au public, vu sa réaction, à défaut d’être réellement original. Une prestation de bonne facture, interprétée par des musiciens honnêtes, mais sans intérêt pour ce genre de revival heavy, on ne s’y attarde pas, préférant goûter à la curiosité hardcore du moment, Zulu.
Cette dernière est l’exemple parfait confirmant la richesse de la programmation du Hellfest, faisant taire les contradicteurs du festival : 50 % des groupes présents le sont pour la première fois. Parmi eux, Zulu, sensation de Los Angeles, dont le premier album “A New Tomorrow” est sorti en mars. Il a marqué les esprits du circuit HxC par la fraîcheur de sa jeunesse et la rage militante de ses racines. C’était donc curieux que nous attendions sa prestation… qui se clôturera en à peine plus d’un quart d’heure, la faute à une balance capricieuse. Très dynamique, le set passe de moments très agressifs à des plages de coolitude californienne en seulement quelques accords. On switche sans réelle transition rythmique à des passages old school vers des fessées de blasts convaincantes, servies avec un growl engagé. C’est bordélique à souhait mais suffisamment frais pour que l’on s’y attarde un peu plus qu’à ce concert un peu foiré.
Dire que les rois bisons étaient attendus sur la Valley est un doux euphémisme. On se demande bien d’ailleurs au nom de quelle injustice ces seigneurs psych se retrouvent si tôt dans cette journée certes bien généreuse. Le trio originaire du bord du lac Ontario propose une musique liquide naviguant souvent dans les eaux du stoner, du psych, voire du space rock. Très économe en effets et en variations, toute la musique de King Buffalo se construit sur un motif répété de façon hypnotique jusqu’à l’euphorie. Sentiment de plénitude qui ne tardera pas à gagner le public. Tout en efficacité et sans effusion de fuzz, c’est sur la dynamique de leur motif que tout se joue. Impressionné par l’économie de moyens déployés et complètement conquis, le public est désormais dans de bonnes dispositions pour accueillir un peu plus tard l’autre formation extra-terrestre de la journée : Earthless.
Mais avant cela, incroyable mais vrai : un groupe de sludge joue à la Valley ! Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit des parrains du genre, Crowbar. Autour d’un Kirk Windstein toujours aussi peu bavard mais dans une grande forme, le groupe de NOLA envoie ce qu’il sait faire de mieux : de la bûche et du plantage de piquets comme s’il en pleuvait ! Le déluge sonore colle parfaitement à cet après-midi étouffant où le climat ressemble à celui du Bayou, les bestioles en moins. Ça groove comme un pachyderme défoncé et on adore ça !
Après un petit break fraîcheur, direction la Warzone. Dans le même registre que Zulu (qui d’ailleurs étaient présents sur le côté de la scène), Soul Glo a apporté un même vent de fraîcheur dans les sphères hardcore l’an passé. Et tout comme leurs potes, on avait bien envie de voir cette version 3.0 des Bad Brains. C’est pourtant un public clairsemé qui attend les ricains devant la Warzone dont les rangs ne gonfleront pas. La faute certainement à l’approche radicale de leur musique dont le chaos et l’improvisation (?) dominent un flux incessant de paroles politisées mais souvent incompréhensibles. Et comme si ce bordel ne suffisait pas, les titres sont espacés par des interludes bruitistes pas nécessairement utiles. Spéciale dédicace au type qui a filé le joint que réclamait le frontman. Bonne ou mauvaise idée ? C’est lorsqu’on voit ce dernier avachi sur les retours à nous bafouiller des trucs sur ces aïeux ou à hurler couché qu’on se dit qu’elle devait être sacrément bonne, la weed. Mais comme souvent, drogue et performance de qualité ne sont pas à l’unisson et le groupe quitte la scène après même pas vingt minutes de prestation. Vrais problèmes techniques ou second enfumage de la journée ? En tout cas le groupe nous doit un set digne de ce nom, si tant est qu’ils reviennent à l’avenir…
Ce set écourté nous permet d’arriver tranquillement à la Valley voisine pour le retour de Wino avec The Obsessed. Pas inquiété par les douanes cette fois, le frontman tient la baraque de l’un des plus vieux groupes de doom encore en activité et même s’ils jouent tôt et au soleil, l’attente depuis leur précédent passage avec leur chanteur originel était bien trop longue pour que le public ne soit pas au rendez-vous. Déroulant leur heavy rock comme une machine bien huilée, le set passe à une vitesse folle (paradoxal pour du doom, isn’t it ?) et nous laissera un peu sur notre faim, entre set trop court et le côté détaché du groupe.
Accablés par les températures, même si çe n’est pas aussi insupportable que l’an dernier, nous restons sagement dans le coin en attendant l’autre groupe psyché du jour. Isaiah Mitchell qui porte un T-shirt de Funkadelic, ce n’est pas anodin. Faut-il y voir un indice sur l’empreinte donnée à sa musique aujourd’hui ? C’est pourtant les enchaînements d’Eddie Hazel qu’on jurerait entendre sortir de sa guitare avant de quitter Clisson et la Terre Mère. Ce démarrage laisse le public décontracté en totale apesanteur avant que Ruby Mars et Mike Eginton ne le rejoignent pour de bon. Isaiah ouvre la wah-wah, tranche le firmament d’éclairs fuzzés. Le ciel s’assombrit subitement et la musique se fait plus menaçante: les métronomes entrent dans une cavalcade sabbathienne obscure. C’est désormais Hendrix qu’invoque Isaiah dans un dédale d’accords vrombissants, en poussant le blues dans ses retranchements les plus psychédéliques. 40 minutes et quelques plus tard, toute la Valley ahurie de riffs, reste pantoise. Il reste quelques minutes ? Pas avare, Earthless nous claque deux reprises («Stoned Out of your Mind » et « Cherry Red ») histoire que personne ne vienne contester leur statut de patrons. Un voyage aux confins du cosmos sans que vos pieds ne décollent du sol, voilà ce que Earthless est capable de vous faire vivre, et personne de censé ne peut dire qu’il n’a pas adoré ce set.
Pendant que la marée humaine de Maiden Troopers affluait devant la Main Stage 1, facilitant la circulation sur le reste du site, se tramait certainement la meilleure surprise de la journée, voire de cette édition. Heureusement que la setlist avait fuité peu avant le concert, redonnant de l’intérêt au concert de Monster Magnet. Parce que si leur passage est toujours attendu, la qualité des shows et le choix des titres est régulièrement aléatoire. Mais pas aujourd’hui. Avec un live faisant la part belle à «Powertrip» et à «Dopes to Infinity», éclipsant toute crainte d’un show en demi-teinte, c’est un crowd-pleaser absolu qui nous est offert. Dave Wyndorf et sa bande sont exceptionnellement en grande forme et déroulent une autoroute de riffs vers le cosmos. Avec le carré d’as «Bummer», «Powertrip», «Negasonic Teenage Warhead» et «Space Lord» le public présent est entré en communion, permettant à tous les Seigneurs de l’Espace que nous étions ce soir-là, de gueuler l’hymne le plus célèbre de la planète stoner : SPACELORD MOTHERFUCKER!
Alors que le public s’éparpille vers les autres scènes ou les bars, nous préférons profiter de la fraîcheur enfin tombée sur Clisson pour attendre tranquillement le dernier concert du jour à la Valley.
Si Clutch sont de retour pour leur sixième participation, point de routine avec le gang du Maryland. Neil Fallon et ses acolytes (avec Brad Davies de Fu Manchu en intérimaire de luxe à la basse) ont matière à varier les set lists et maîtrisent suffisamment leurs shows pour assurer un set digne d’une tête d’affiche. Et nous sommes bien contents que ça ne soit pas sur une grande scène! Aucun temps mort, aucun répit, aucune baisse de régime d’un bout à l’autre du concert, avec des enchaînements frénétiques que même un sportif de haut niveau n’arriverait pas à suivre (“X-Ray Visions/Firebirds/The Mob Goes Wild/Profits of Doom/DC Sound Attack”). Il faut la surprise “Escape from the Prison Planet” pour reprendre son souffle avant un final explosif avec l’incontournable “Electric Worry”.
Lessivés et heureux, on file… eh non, pas pour dormir ! À la Warzone !!!! Comme si Clutch ne suffisait pas à nous mettre sur les rotules, voilà que démarre Municipal Waste. L’occasion était trop bonne de continuer sur la version thrash de la bamboche. La Warzone sied en effet mieux à Municipal Waste que les mainstages lors de leur précédent passage (2019). L’autodérision et le côté WTF de leurs paroles sont toujours de rigueur, garantissant la teuf à tous les étages, du pit en furie jusque dans les balcons” surplombant la Warzone. L’ambiance est bien évidemment électrique mais il faut bien reconnaître que 60 minutes de thrash à cette heure avancée du RO, c’est tout simplement trop. Un show un peu plus ramassé et condensé serait plus appréciable pour nos carcasses épuisées.
Ce samedi fut indéniablement la plus belle journée pour la Valley, avec enfin une prog respectant son identité. Ce fût aussi la dernière sous le soleil, mais ça, nous le savions pas encore…
Last modified: 20 juillet 2023