Après une double édition 2022 digne d’un marathon, nous voilà de retour en terres clissonnaises pour un Hellfest “normal”. Enfin, presque normal, puisqu’il y a désormais un quatrième jour, nous obligeant à débarquer un jour plus tôt. (TEXTE : Lord Pierro & Yannick K. // PHOTOS : Sylvain Golvet)
Et puis l’orga nous a réservé quelques nouveautés, que l’on va évoquer tout de suite avant de parler des groupes. Tout d’abord, le tant attendu déplacement de la Valley vers la Warzone. “Enfin !” crient les aficionados de hardcore et de stoner. Plus besoin de courir entre les deux extrémités du site pour voir les shows de ces deux scènes. Sans chapiteau mais dans une configuration qui permet beaucoup plus de fluidité devant la scène, les concerts sont bien plus agréables à suivre, d’autant plus qu’il y a aussi un bar au fond, limitant les allées et venues. Seul point noir, l’absence d’ombre qui fera regretter la tente à nombre de festivaliers. Et donc l’espace libéré par le déménagement de la Valley a permis d’y mettre The Sanctuary, énorme structure où les marchands du temple vont écouler le merch officiel durant quelques jours.
Mais place à la musique, puisque nous sommes venus pour ça ! Si l’affiche ne nous avait pas fait sauter au plafond, une écoute approfondie aura bien noirci nos running orders, et c’est une nouvelle édition pleine de choix cornéliens qui se présente. Plus une demi-journée qu’un jour entier, c’est sans mon binôme que je choisis pour la première fois en 12 éditions de démarrer mon Hellfest par autre chose que la Valley. Je découvre Blackbraid et leur black metal amérindien, devant un parterre déjà bien garni. Peut-on qualifier de violent un groupe de black metal dont c’est censé être le minimum vital ? Je me fais déchausser les dents morceau après morceau et je n’ai qu’une seule préoccupation, ne pas perdre d’autres organes d’ici la fin du set. Premier groupe, première raclée. La journée commence bien !
Histoire de rester dans la finesse, direction la Warzone pour voir le vainqueur du tremplin Hell Voice, les français Kamizol-K ouvrir le festival version moshpit. Transition tout en pétage de nuques au son d’un hardcore qui mélange les influences mais défouraille comme si leur vie en dépendait. Rageurs et bien décidés à faire de leur passage un moment inoubliable, les Lyonnais donnent un set ultra énergique, sans aucun temps mort, et auront prouvé que leur place était amplement méritée.
Il est alors temps pour moi d’aller découvrir la nouvelle Valley et y voir évoluer les cultissimes Today is The Day. Leurs passages en nos contrées sont si rares qu’il était hors de question de louper le set de Steve Austin et sa bande. La violence de leur musique a surpris un certain public, visiblement pas au fait que la Valley n’est plus un simple lieu de sieste pour touristes. Malgré une coupure d’électricité au milieu du set, le groupe ira au bout de son show, tout en violence noisy screamo déjantée. A la Valley aussi on peut perdre ses dents !
La schizophrénie de la programmation nous offre ensuite un peu de répit avec les franco-écossais de Dvne, qui ont la lourde tâche d’adoucir les mœurs après un tel déchaînement de fureur. Dans un genre très post-metal, le début du set me plonge dans leur univers et l’ambiance s’installe tranquillement… jusqu’à l’arrivée d’un synthé bien trop en avant et des voix suraiguës à la limite du supportable qui me font complètement sortir du concert. Je finis loin de la scène, ayant totalement décroché. Dommage, le set était prometteur. Peut être trop de calme après une première salve de groupes énervés.
Mais pas le temps de tergiverser, un autre groupe culte se présente, et il ne s’agit rien de moins que des pionniers du Doom, Candlemass ! Si je n’ai toujours pas compris pourquoi ils jouaient sous l’Altar et non à la Valley, peu importe, c’est bien un évènement que de les revoir, particulièrement avec le chanteur originel Johan Langquist de retour après une absence de plus de trente ans. Point de nostalgie pourtant, le set est énorme, le son gras à souhait, et le public ne s’y trompe pas puisque la tente est remplie et déborde allègrement de toutes parts. Profiter des classiques des papes du genre, avec ce line-up qui prend visiblement plaisir à être là, me met alors un sourire béat sur le visage. J’en aurais bien pris une heure ou deux de plus !
La suite de la soirée se passe à la Valley où m’attend tout d’abord Celeste. Leur post-black oppressant se marie bien avec le coucher du soleil, parfait pour plonger l’auditoire dans les tréfonds de la noirceur, tant leur musique ténébreuse ne laisse aucun doute sur l’aspect bestial et destructeur de leur musique. Ne laissant aucun répit au public, qui est complètement absorbé par la puissance sonore incroyable et un light show qui vient sublimer un set magnifique, les Rhodaniens font forte impression. L’une des belles surprises du jour, incontestablement.
Que faire après un set d’une telle violence, alors que va pointer l’un des groupes incontournables du post-metal ? Rien du tout. Se poser au calme, profitant de cette torpeur qui envahit le festivalier alors que la température se fait plus fraîche. Et apprécier ces instants, avant LE concert du jour.
Difficile de ne pas sortir hagards d’un set d’Amenra. Il suffit d’apprécier le calme relatif à la sortie du concert des belges, pour que l’on se rende compte à quel point le public est à nouveau envoûté et étourdi par le spectacle qui vient de se produire sous leurs yeux. Leur post metal viscéral et puissant joue sur les brutales ruptures visuelles et sonores. Opposant systématiquement calme et agitation, beauté et inquiétude, apaisement et colère, lumière et noirceur, la musique d’Amenra est une brusque libération émotionnelle contre laquelle il est difficile de lutter. Cathartique et transcendant, sculpture sonore, musique visuelle, le concert d’Amenra clôturant cette journée sous la Valley est une énorme claque, et pas la dernière de cette édition.
Pendant que l’on se remet à peine de la tempête Amenra, se prépare en coulisses de la Warzone le bordel punk-funk des pétillants Fishbone. Avec leur fusion de ska, punk, funk et de reggae, Fishbone est probablement le groupe le plus inclassable du festival. Première apparition à Clisson de ces joyeux drilles à l’humour décapant, la bande menée par le fantasque Angelo Moore était à ne rater sous aucun prétexte ! D’autant plus que le line-up (presque) historique est présent ! Et quand le groupe décide, après quelques préliminaires hésitants, de se lâcher, il n’aura de cesse de groover méchamment, malgré le bordel permanent des chorus, des voix et des ruptures. La section rythmique est tout simplement phénoménale, s’adaptant sans cesse aux pitreries d’Angelo, qui passe son temps à changer de saxophone, bidouiller son thérémine et à se désaper comme s’il fallait prouver qu’il avait tout donné ce soir-là.
Il y avait de quoi devenir schizo en terminant cette première journée tant la programmation jouait avec nos émotions les plus contradictoires : enchaîner après une poésie brute et viscérale, une fête un peu foutraque comme s’il s’agissait de la dernière… Décidément, il n’y a qu’au Hellfest que l’on peut vivre ce genre d’ascenseur émotionnel sonore.
Last modified: 18 juillet 2023