Ask Vatn Strøm (guitares), Ingvald André Vassbø (batterie) et Eskild Myrvoll (basse, claviers) ne chôment pas. Que ce soit sous la forme d’album, de jam sessions, de collaborations barrées ou de live, le trio le plus prolifique de Norvège vient régulièrement remplir nos étagères Kallax de ce qui se fait de mieux en matière de Psych Rock. Et ce «Downpour» est déjà le septième effort de la discographie de KANAAN en cinq ans. Comme s’il fallait documenter chaque instant nourri par une créativité débridée, mettant en lumière les racines Free Jazz du groupe. Cette formation leur permet d’approfondir toutes les différentes voies que leur ouvre leur musique.
Très inspiré Jazz Rock sur «Windborne», complètement Free sur «Odensee Sessions», ouvertement Psyché pour « Double Sun », les gonzes jettent une motte de beurre dans la mare psychédélique sur «EarthBound » et poussent les potards au-delà de onze. Bien leur en a pris, puisque ce dernier s’est révélé être l’une des très bonnes surprises de 2021. Certaines idées restantes dans les cartons sont peaufinées pour servir de base à ce « Downpour ». En cela ce disque est le successeur direct d’«Earthbound ». Mais avec toujours cette esprit Free bille en tête, Kanaan ne peut se résigner à jouer qu’un seul style de musique, à l’image de leurs sorties, tantôt Heavy et « structurées », tantôt totalement improvisées. Les sept gouttes de ce déluge kaléidoscopique qu’est « Downpour » tente de faire le trait d’union entre ces deux univers. Et ce n’est pas un hasard si l’on retrouve sur un des titres de l’album leur compatriote Hedvig Mollestad, grande inspiration du groupe, dont la musique oscille entre Heavy Rock des seventies et Jazz.
Toujours dans cette dichotomie, le disque est facilement divisible en deux faces distinctes, dont l’interlude « Psunspot » vient renforcer cette polarité. La première face est plus radiogénique que la seconde, notamment grâce au titre « Black Time Fuzz », une bombe à fragmentation dont les éclats de riffs sont dévastateurs. Ça gronde, ça tonne, ça tourbillonne… ce déluge sonique est une giboulée de fuzz et de distorsion qui place le disque sur un terrain de jeu puissant et dynamique. « Amazon » lui emboite le pas sur un groove palpitant qui vous soulève et vous transporte dans un vortex de guitares saturées.
Bien que le disque soit complètement instrumental, les guitares parlent, jasent, vocifèrent même, en narrant un très beau Space Rock, décontracté, avec l’enchainement « Orbit » et « Solaris Pt. 1 et Pt. 2 ». Les effets sonores évoquant les voyages spatiaux seraient alors la ponctuation de ces récits.
En opposition à la première partie bien plus cinglante, Kanaan sait justement doser le rythme et la vivacité de ses compostions, plus étirées mais néanmoins cadrées en face B. L’apesanteur induite des motifs atmosphériques laissent progressivement la place à des trainées incendiaires embrasant les morceaux pour un final chaotique et explosif telle une supernova psychédélique.
On ne le dira jamais assez, mais à une époque où la capacité d’attention se limite à une publicité pendant le Superbowl et nous fait sombrer culturellement, maintenir la musique instrumentale palpitante relève de la gageure. C’est là où Kanaan excelle, se nourrissant de leur parcours jazz et de son travail d’explorations musicales incessant. Que ce soit dans un format single avec vigueur et décibels (« Black Time fuzz ) ou bien sur des titres plus élastiques en maintenant une tension jusqu’à la convulsion (« Orbit »), le groupe n’ennuie jamais. Et pour la conquête de l’espace, il va falloir sérieusement compter sur l’astronef Kanaan.
Last modified: 30 mai 2023