“Over the top”. Voilà une expression galvaudée et souvent vidée de son sens et pourtant, je trouve qu’elle décrit parfaitement ce qu’Obelyskkh nous propose sur “The Ultimate Grace Of God”, quatrième album enregistré en 2020 et qui peut enfin nous emplir les oreilles de délices Sludge / Noise grâce à sa sortie sur Exhile on Mainstream Records.
Quand je pense “over the top”, je me figure une oeuvre où tous les potards sont poussés à fond quitte à perdre en cohérence ou en pertinence. Pourtant, ce principe “over the top” n’est-il pas, en lui-même, un fil conducteur suffisant et intéressant pour tenir un album entier?
Prenons “Aquaevil” qui lance cet opus et illustre ce principe de fort belle manière. Le sample d’enfant surjoué, le riff pachydermique avec la prod lourde à l’extrême, les voix caverneuses et moqueuses, presque carnavalesques qui nous accueillent, les chuchotements, les riffs dissonants, les choeurs en canon, avant un déchaînement de lourdeur qui ferait presque office de break down accompagné d’un chant pour le moins grotesque (au sens noble et Osbornien du terme)… tout ça dans les 4 premières minutes. Mais ce qui vient vraiment valider cet état de fait “over the top” c’est cette basse fuzzy à mi titre. Jamais je n’ai entendu de basse aussi sale, aussi présente dans le mix à part dans de l’électro le plus bas du front. Et pourtant ça marche parfaitement. Ça suinte, ça dégueule jusqu’à ce que des petites guitares cristallines viennent s’y apposer. Le titre s’enfonce tranquillement dans un chaos lourd, cauchemardesque et quasiment drone. C’est trop, mais c’est trop bon.
Et toute la suite sera de cet acabit de surprise et de créativité parfois à la limite de l’indigeste et pourtant toujours fascinant. Alors que le titre éponyme vient flirter avec le chaotic hardcore des années 2000, le chant toujours aussi divinement inapproprié confère au titre un véritable charme. La spatialisation du mix nous perd parfois complètement dans un tourbillon d’échos à droite, à gauche, au centre, partout, tout le temps. Si Dieu est effectivement gracieux, il semble qu’il aime faire des triples axels pour nous donner le tournis. Et pourtant, le titre va encore prendre bien des virages, depuis le passage calme et planant, jusqu’à un solo épique sur fond de clochettes. Ici, la seule limite c’est bien l’imagination.
“Black Mother” est ce qui s’apparente le plus à du noise sludge conventionnel, si tant est que ces mots aient le moindre sens une fois associés. Dans un mix entre Unsane et les Melvins mais toujours avec ce brin de folie très personnelle (incarnée ici par ces orgues et cuivres non identifiables en milieu de morceau), le groupe nous permet de souffler et nous revitaliser un peu avant les prochaines pistes.
“Dog Headed God” tente le coup de la vraie fausse piste posée pour partir en dissonance et violence crasse. C’est bien fait, ça tape fort avec un relent très 90’s, des plus appréciables. On nous gratifie même d’un retour de la basse la plus délicieusement dégueulasse de l’histoire moderne, déjà évoquée précédemment. Le titre s’évade, sans surprise cette fois, dans un torrent de noise bruitiste. Enfin, “Sat Nam” vient clore le bal. Le titre fleuve culmine à 16 minutes 48 et nous propose un condensé de tout ce que le groupe maîtrise parfaitement. La dissonance, les passages planants, les folies hypnotiques, les superpositions de chants grandiloquents, la lourdeur, les changements de rythme ET de tempo. Mais une fois de plus les Allemands viennent nous cueillir avec l’ajout de percussions électroniques pour un passage indus référençant aussi bien NiN que les mastodontes nationaux de Rammstein (des années 90’s, rassurez vous). Les dernières minutes viennent nous gifler encore davantage les tympans à bases de nappes et autres joyeusetés cacophoniques avant que notre liberté ne nous soit rendue par quelques ultimes notes … de piano.
“Over the top” comme je le disais. “The Ultimate Grace of God” est un album extrêmement généreux, extrêmement créatif et très bien produit. C’est un album qui représente bien l’univers très singulier des trois musiciens qui composent le groupe. Mais c’est aussi un album difficile d’accès. De ceux qui déroutent parfois un peu trop. De ceux qu’on aimerait être un poil plus équilibrés tant chaque merveilleuse idée est chassée brusquement par une autre, pas toujours aussi appréciable. Ce parti pris, ce jusqu’au boutisme dans la démarche est à saluer, et certains de ces morceaux (surtout le premier et le dernier à mes yeux) sont d’incroyables réussites qui méritent d’être régulièrement redécouvertes.
Il n’en demeure pas moins que ce jusqu’au boutisme questionne notre rapport aux musiques extrêmes. Vous voulez du sludge noisy, et bien c’est exactement ce que vous aurez ici, poussé à son paroxysme, même si vous devez en avoir la nausée. J’ai personnellement adoré cet album mais il n’est pas pour tout le monde. Car nous surprendre, c’est l’idée fixe de nos amis d’Obelyskkh et ils semblent connaître parfaitement la recette de cette potion magique là. (Quoi ? Vous pensiez vraiment que j’allais conclure sans faire cette vanne ?)
Last modified: 27 mars 2023