Les apparences sont parfois trompeuses. Plus préoccupé par le retour de la musique live au mois de juin, je m’étais quelque peu désintéressé des sorties estivales se présentant à nous. Parmi eux, ce Lord Elephant ne me donnait guère envie. Entre le blaze du groupe tout droit sorti du Stoner Band Name Generator (je les ai d’ailleurs confondus avec leurs pachydermiques compatriotes Black Elephant) et le titre de l’album certes évocateur mais très convenu, on jurerait presque avoir entendu l’album sans même l’écouter.
« Encore une énième production répétitive et monolithique pour potheads dont on se lasse rien qu’à la lecture de la tracklist et de la longueur des titres… » Ajoutez à cette présentation plus que maso la proposition 100 % instrumentale de ce disque, et on l’aurait hâtivement rangé dans la section « léthargie cosmique ». Mais comme dirait l’adage, l’habit ne fait pas le moine.
Et ces Italiens ont de la ressource. Première écoute que déjà prédomine cette impression d’avoir des références évidentes en tête. « Ah oui ! ça me fait penser à …. » « Ok, j’ai la réf’, ce riff à la… » « pas mal ce jeu, où est-ce que j’ai déjà entendu ça, bordel ? » Et aussi curieux que ça puisse paraître, malgré ces premières évocations, impossible de rapprocher réellement Lord Elephant de quoi que ce soit de connu à ce jour. Et pour un premier effort, c’est prodigieusement bon signe. Preuve que ces pachydermes-là ont déjà peaufiné leur propre signature sonore. Créé en 2016, le trio a visiblement pris son temps pour fignoler ce petit bijou de lourdeur hypnotique, parfait point de friction entre les riffs bluesy de Wo-Fat, le doom enfumé de Belzebong et les embardées stellaires d’Earthless, histoire de situer la teneur en THC de leur musique.
Ce disque est en effet un éventail grand ouvert du spectre psychédélique : un disque totalement hypnotique, à l’ambiance brumeuse et poisseuse, dont jaillit la fureur dans une lourdeur quasi généralisée. C’est précisément ce que vous propose la chanson titre de l’album, intelligemment divisée en deux parties, où les riffs liquides et spectraux de l’introduction laissent place à de puissantes éruptions solaires blues, irradiant tout sur leur passage. Imparable.
Dès lors, on pourrait aisément penser que la force du trio pourrait également être sa principale faiblesse : un jeu 100 % instrumental dont les effets de manche lasseraient sur la durée. C’est sans compter sur l’habilité d’écriture de Lord Elephant. Bien loin de miser sur la répétitivité ou l’allongement d’un riff, Lord Elephant choisit la variation, celle guidée par l’instinct tant ils sont imprévisibles. C’est assez bluffant de s’apercevoir que le groupe vous mène par le bout du nez, sans que réellement l’on devine où il vous entraîne… C’est encore plus épatant sur des titres aussi concis, qui préservent tension et dynamique dans leur musique. On reste sur ses gardes, à l’affût d’un changement de tempo ou d’une curiosité rythmique alors que, sans s’en rendre compte, on est déjà en train de slalomer en tapis volant dans la ceinture d’astéroïdes.
Un tel savoir-faire dans l’enchevêtrement des genres, ce goût pour l’inconnu dicté par l’intuition, voilà (encore) des doomeux qui ont su emprunter au (meilleur du) jazz pour nous gifler avec l’art et la manière. Pour un premier album, ces mecs-là n’ont franchement pas choisi la facilité. Malgré l’absence de chant, « Cosmic Awakening » est l’occasion de donner une solide leçon de Heavy Rock avec sa rythmique aux abois et ses guitares intersidérales. Et on se demande bien comment Lord Elephant pourra faire aussi bien la prochaine fois. Oui, car on en redemande ! Implacable.
Last modified: 5 août 2022