On a plutôt tendance à évoquer les voyages spatiaux lorsqu’il s’agit de décrire les musiques à forte teneur en tetrahydrocannabinol. Il n’y a qu’à recenser, pour s’en rendre compte, le nombre de groupes dont le blaze est affublé de l’adjectif « cosmic ». La plongée dans les abysses inspire par contre beaucoup moins. Pourtant cet espace méconnu et inexploré, cette « stratosphère à l’envers », incarne parfaitement toute la lourdeur et l’angoisse du Doom. C’est ce qu’a essayé de prouver SPELLJAMMER (en hibernation depuis leur dernier « Ancient of Days » sorti il y a cinq ans), avec leur très explicite « Abyssal Trip ».
Fermez la lourde porte de votre canapé aménagé en bathyscaphe déjà bien embrumé, prenez une grande respiration, plongez et imaginez. Imaginez la noirceur des abîmes, tellement sombre qu’elle en devient dense comme du pétrole, la pression phénoménale, le vide dans ce qu’il a de plus lugubre… Oui, vous avez bien le titre d’introduction « Bellwether » (ou baromètre) dans votre casque. Un minimum d’effort pour un maximum d’effets : une basse grondante et écrasante, un riff inquiétant et lourd comme une enclume qui vous entraine par le fond, le tout passé au concasseur rythmique… La musique « Slow and Low » dans toute sa quintessence. Si « Ancient Days » dressait déjà des odes à la défonce à la fois lentes et pesantes, le groupe choisit ici carrément de les lester d’une ceinture de plomb et de troquer le planant pour le sinistre.
Mais l’inquiétude peut aussi surgir de l’urgence. L’urgence de la privation d’oxygène, telle une accélération cardiaque lorsque vous êtes soudain pris dans un maelström de guitares assourdissantes et de batteries frénétiques (« Lake », « Among The Holy »). Spelljammer sait alors vous ménager en établissant quelques paliers de décompression, parenthèses psyché de respiration (« Peregrine ») avant de vous engloutir sous des strates épaisses de saturation doom. En effet, pendant les 44 minutes de votre plongée, les riffs basaltiques se déroulent lentement mais inexorablement, comme des tapis roulants, tels les plaques tectoniques s’engouffrant dans les abîmes de la Terre.
La chanson titre sert de pierre angulaire à cette incursion dans les grands fonds. Hormis cette utilisation de dialogues de série Z bien malvenue (tout comme cette sirène racoleuse en intro de l’album), « Abyssal Trip » est un broyeur de nuques en puissance, saturé au possible, menaçant et angoissant.
On a guère besoin de citer les maîtres du genre, tant l’album suinte de références appuyées au Weedian. Mais il s’en démarque suffisamment pour rendre le tout appréciable et captivant. Les thématiques de la scène doom sont généralement à chercher dans l’occulte ou le nébuleux, alors que ce disque propose un langage propre. Si Sleep vous propulse dans l’espace, Spelljammer en serait l’antithèse. Il serait le groupe qui vous entraîne dans la zone hadale (en référence à Hades, dieu grec des Enfers), la zone la plus profonde des abîmes océaniques, perpétuellement sombre, froide et sans âme. Bienvenue dans le monde du silence.
Last modified: 20 février 2021