C’est dans un climat semi-aride et en short de bain que nous nous rendons sur les quais bordelais pour un Astroshøw Open Air Woodstock 50th Anniversary plus que bienvenu pour nous rafraîchir d’une douce brise de musique psychédélique et enivrante. (Photo : Perspective Anormale
Chemises à fleurs et motifs tropicaux ont envahi les lieux, face à la place des Quinconces, sous cet infernal soleil de juillet. C’est une drôle d’ambiance pour commencer un concert, ici, au bord de la route, avec d’innombrables bruits de fond que le premier groupe de la soirée, VOLAGE, peinera à dissimuler lorsque nous arriverons sur la fin de leur set. Il n’y a pour ainsi dire personne devant la scène, tout le monde s’est mis sur le côté droit de la régie, car l’ombre et un léger vent venu du fleuve rafraîchissent les premiers arrivants.
STONEDEAD, venu du Portugal, prend la relève avec un rock assez classique et rétro, très bon pour écouter assis dans l’herbe, une pinte à la main, l’air flâneur. Le temps est si lourd qu’il nous liquéfie le cerveau et on risquerait presque d’en faire tomber un bout dans son verre avant de le boire. Alors nous restons allongés dans l’herbe tiède à digérer nos pensées et profiter du spectacle, avant de se rapprocher.
Arrivent les américains de YAWNING MAN, visiblement très attendus par une poignée d’amateurs de stoner, les ayant déjà probablement acclamés il y a trois ans dans le sous-sol du Void lors d’une merveilleuse soirée Make It Sabbathy. On repère en tout cas un t-shirt Mythic Sunship, signe qu’il y a des bonnes âmes dans l’assemblée, mais aussi plein d’autres créatures étranges, sûrement attirées par les superbes lumières, la clarté et la lourdeur du son qui se dégage de cette incroyable scène Astroshøw.
Jean-Michel Boulot sort fêter sa fin de semaine et se met à hocher de la tête un peu trop vite sur les premières notes de « The Revolt Against Tired Noises ». De plus en plus de t-shirts noirs et d’espadrilles s’accumulent enfin face à la scène, le soleil ayant décliné au loin. Un paysage merveilleux se peint alors sous nos yeux, animé par les somptueux morceaux du trio instrumental. Un véritable rêve vivant emmené par un Mario Lalli virtuose, qui enchaîne les notes avec un jeu hybride, alternant doigt, médiator, slaps d’une netteté et d’un groove déconcertant. La guitare inonde les environs de réverbération. L’esprit des Pink Floyd semble ravivé instantanément, eux qui étaient présents dans les environs en 1994. Le ciel se pare de lumières hypnotiques rappelant le feu, alors que nous sommes ici, entre l’eau et la terre, dans une bulle de plus en plus opaque et intemporelle. Les titres s’enchaînent et notre esprit finit par être aspiré, bien que quelques soûlards nous en extirpent de façon parfois spontanée.
Durant une pause ré-accordage, nous reposons les pieds sur terre. Nous nous rappelons que nous sommes en pleine ville, et qu’au gré de l’eau, au coucher du jour, les gens s’activent, vont, viennent. Bus, trams, voitures, vélos, coureurs, ivrognes, curieux, amoureux, familles, chiens, pigeons, et même buse s’invitent autour de la superbe scène face aux arbres. Puis revient le son, qui nous dépeint un désert dans lequel les esprits des Amérindiens viennent réveiller nos bons vieux gaulois et autres romains. On dirait même qu’une tempête de sable se profile à l’horizon, vers le Nord, ce qui n’a aucune logique géographique. Dans cette sorte de jam session nocturne, on pourrait presque voir des bisons (pas toi Thibault !) passer de long de la Garonne… Durant une heure, nous prenons de la vitesse et nous élevons dans la stratosphère, alors que pourtant nos pieds n’ont pas bougé d’ici, sur terre.
Cela fait un certain temps que nous avons atterri lorsque commence la dernière partie de ce voyage. BOOGARINS est une sorte de guimauve brésilienne de pop rock psychédélique étrange que nous avions découvert dans la cave humide de L’Astrodøme il y a quelques mois. Les voici de nouveau sur scène pour faire monter le taux d’humidité de l’atmosphère, qui s’est un peu rafraîchit et dans laquelle des centaines de gens respirent maintenant. Structures musicales aussi frisées et inattendues que les cheveux de son principal guitariste chanteur, qui possède d’ailleurs une voix très efféminée rappelant par moments Kikagaku Moyo version mojito, ou le thé anglais des Temples dans lequel on aurait jeté un peu de caïpirinha. Un collègue compare même ça à du Tame Impala. En plus lent, plus nonchalant, avec des passages très doux, peut-être même un peu trop. On se laisse bercer comme par le son des vagues, sur une île déserte au large du Pacifique, depuis laquelle admirons, allongés sur un lit de plantes fraîches et odorantes, une sorte de gigantesque salade de fruits cosmique saupoudrée d’étoiles.
Pas de violence, c’est les vacances. Et on ne demande que ça : pas trop de mouvement, sinon nous finirions tout transpirant à nous jeter volontairement (sans l’aide de la BAC) dans la Garonne histoire de nous rafraîchir. La gentillesse transpire à chaque riff, un discret clavier vintage apporte des sonorités occidentales à ces chansons bien tropicales. Certains titres mettent beaucoup de temps à décoller, et nous finissons par partir avant la fin car la température de la journée a eu raison de nos pauvres corps fatigués et desséchés.
Heureusement qu’il existe des assos sur Bordeaux qui osent encore aujourd’hui nous faire voyager loin sans avoir à revendre un rein, et quand ça tape dans l’originalité et la qualité avec une affiche aussi métissée, on se répétera cette phrase de mon meilleur pote tel un mantra rassurant, en réalisant que parfois nous avons de la chance car : « ici, il y a quelques années, il y avait Colonel Reyel, putain ! Enfin un vrai concert, ça fait du bien !
A dos de cheval courant vers le firmament,
Loin, au-delà du pont Chaban,
Nos esprits se sont bien vite oubliés
Dans le songe d’une douce nuit d’été
Last modified: 19 juillet 2019