De retour à Paris après des années d’absence (à vrai dire, je ne retrouve même pas de date parisienne précédente sur le net, si un lecteur peut nous éclairer…), DAUGHTERS est attendu comme le loup blanc au Point Ephémère. Sans que l’on ne l’ait trop vu venir, l’album You won’t get what you want s’est retrouvé en très bonne place de quasi tous les classements underground de 2018, si bien que les places de ce soir sont parties comme des petits pains et une date a été rajoutée en octobre, après un passage en juin au Hellfest. D’ailleurs, Ben Barbaud était dans la salle, peut-être pour se confirmer qu’il a bien misé sur les bons poulains. Hype, vous avez dit hype ?
En attendant j’entre dans la salle avec une complète méconnaissance d’ARTO qui joue ce soir en ouverture, et c’est parfois la bonne chose à faire, car la surprise y est encore meilleure. En quelques secondes, ce quatuor instrumental italien nous immerge dans ses tortueux paysages sonores, aux frontières de la cold wave, du post metal et de la noise. Il y règne un psychédélisme froid et abrupte mais jamais repoussant, malgré une touche prog qui pourrait rebuter (AUCUNE rythmique en 4/4 pendant le show hein, ça serait trop simple). L’instrumentation fine et dosée permet un dialogue toujours limpide entre les deux guitares et la basse. On pense à Oranssi Pazuzu mais aussi au Meshuggah de Catch22, surtout dans le son de guitare « liquide » de Cristian Naldi. À suivre.
Place aux « Filles », qu’on attend avec une petit appréhension. Avec une orientation moins bruitiste, le « nouveau » DAUGHTERS tient-il ses promesses de groupe explosif et imprévisible sur scène ? Comment vont sonner en live ces sonorités plus synthétiques, privilégiant les ambiance ? On aurait tort de s’inquiéter, le talent déployé sur album sera évidemment décliné en live pendant une heure, où les maitres-mots seront : tension, malaise, catharsis.
Impossible en tout cas de quitter Alexis S.F. Marshall des yeux durant tout le set. Dans un écrin instrumental aux petits oignons concocté par le guitariste Nick Sadler et ses acolytes, le chanteur déploie, dans son costume trois pièces, un charisme magnétique, quasi incompréhensible au vu de ses talents vocaux. Mais c’est avant tout un conteur habité, déclamant ses textes hallucinés sortants d’un cauchemar, un showman autodestructeur et dont la communion avec le public rappelle celle de Nick Cave dans son incarnation la plus passionnée. Dès The Reason They Hate Me, single indus efficace, le public se jette à corps perdu dans la bataille tandis que Marshall les challenge en jouant avec son micro et son crâne ou en se badigeonnant le menton de sa propre bave.
L’envoutant Satan in the Wait, quasi post-punk, achève de convaincre que l’on va devoir faire un choix, se laisser embarquer ou souffrir. Voire souffrir en se laissant embarquer. La suite revient aux fondamentaux noise-hardcore du groupe, pour le plaisir de la fosse, pas la dernière pour se dégourdir les jambes et se frotter les uns les autres comme sur le violemment dansant Our Queens (One Is Many, Many Is One).
En revenant sur des terres plus mid-tempo, Less Sex laisse entrevoir que le chant n’est pas exactement la spécialité de Marshall et on restera sur la version album. Mais c’est surtout l’enchainement Guest House / Daughter / Ocean Song final qui achèvera de nous convaincre que l’on a devant nous un combo de grand talent. Mariant l’indus à la noise, Daughters concocte un cocktail de bruit passionnant, où la mélodie est quasi absente en dehors de la ligne de basse enveloppante, hacké par des guitares stridentes rappelant The Locust ou Jesus Lizard. C’est bien simple, le groupe semble battre le Trent Reznor actuel sur son terrain noise-indus et développe l’héritage de NIN pour l’emmener encore plus loin. Fascinant.
Last modified: 26 avril 2019