Dans une soudaine envie de se rafraîchir, on se dit que durant ce début d’été quasi caniculaire, il était pas plus mal d’aller assister à la date la plus cold du mois. Alors, CHELSEA WOLFE et EMMA RUTH RUNDLE : reines de glaces ? Pas que mais toujours est-il qu’on y va comme on fuit le soleil d’été qui nous brûle l’épiderme.
On commence en douceur avec EMMA RUTH RUNDLE qui vient nous présenter son oeuvre en configuration acoustique, toute seule comme une grande. A peine perdue au milieu de la scène, Emma s’arme juste de sa guitare sèche ou de sa Gibson pour délivrer à son public très attentif un répertoire complètement dark folk plein de douleurs et de regrets rentrés. La limite de ce dispositif, c’est qu’il met en lumière le relatif manque de variété de registre de la jeune femme, particulièrement dans son jeu de guitare qui ne bénéficie pas des ornements de la configuration groupe. Mais la grande maîtrise technique qu’elle utilise dans sa voix lui permet de retranscrire plutôt bien la dynamique en variant l’intensité de son jeu. Au premier rang, on est vite captivé par son timbre qui nous parvient parfois à nu quand elle s’éloigne de son micro. Touchant. A plusieurs reprises, on ressent même la présence fantôme de son groupe, l’accompagnant, du moins par l’esprit, dans son voyage acoustique. Le public est captivé.
Le parcours de CHELSEA WOLFE est étonnant. Après des débuts très underground dans un genre dark folk, la jeune femme muscle le son sur son deuxième album. Mais c’est avec le single « Feral Love » sur Pain is Beauty qu’elle gagne en notoriété, notamment grâce aux trailers de la saison 4 de Game of Thrones sur lesquels figure le titre. On aurait pu se dire que la voix du succès et de l’indie-pop était toute tracée et pourtant, avec Abyss c’est un retour à des sphères très noise qu’on la retrouve en 2015. Puis c’est la sortie d’Hiss Spun en 2017 et une orientation encore plus lourde voire metal. Chelsea fait selon ses envies et c’est tant mieux car un public grandissant répond tout de même présent. Chelsea Wolfe, la Shannon Wright des années 2010 ? Peut-être bien (écoutez Shannon Wright !).
Cette direction est l’oeuvre de Chelsea mais aussi de Ben Chisholm, collaborateur depuis les débuts (ce soir à la basse). Ce multi-instrumentiste est d’une grande aide dans la direction sonore du projet Chelsea Wolfe, et l’orientation doom provient d’un de ses side-project avorté. Sur scène c’est encore plus flagrant. Ce soir, le groupe joue fort. Et lourd. Le bourdonnement de la basse et omniprésent, la Gretsch de Chelsea n’est pas là pour jouer du rockabilly et à la batterie, la frappe de Jess Gowrie est ample et puissante. Les morceaux d’Hiss Spun sont joués en version musclée, et les quelques incartades dans les disques précédents subissent le même traitement. On se souviendra particulièrement de l’enchainement « After The Fall » / « Dragged Out », de Demons joué avec une rage post-punk, ou de la caisse claire martelée telle une enclume de « The Culling » qui laisse tout le monde pantois.
Mais cette furie sonore ne doit pas cacher une grosse maitrise sonore pensée en amont. Sur « 16 Psyche », le mix précis développe la formule Chelsea Wolfe : un tapis de fréquences basses et médium, une batterie puissante avec du delay, la guitare de Bryan Tulao qui diffuse des entrelacs de larsens et d’effets au timbres noise, et enfin le timbre soprano de Chelsea qui vole au dessus du fracas. On peut même entendre le petit traitement « radio » sur la voix pour la détacher encore plus. Les compositions très dynamiques à base de quiet/loud font le reste. Tout est clair, calé, puissant et beau à la fois.
Le tout s’enchaine sans pause ni communication, le concept est épuré et immersif. L’heure et quart bien tendue du concert nous prend et nous étouffe pour nous relâcher groggy dans la chaleur parisienne et dans la nuit noire. Merci Chelsea.
Last modified: 18 juillet 2018