Alors que certain(e)s mangent très gras aux divers Desertfest qui se déroulent en Europe ce mois-ci, Bordeaux n’a rien à leur envier car un des plus lourds plateaux débarque au Void en cette chaude journée de mai. On a jamais vu une date aussi brutale depuis bien longtemps. Comme si Conan, Monolord et Powder For Pigeons n’avaient pas suffit la dernière fois, Make It Sabbathy frappe ce soir avec trois autres parpaings Doom de haute volée : les tout jeunes CLYSTONE, les désormais bien connus WITCHTHROAT SERPENT, et les (trop) rares suédois de SUMA, que je rêvais de revoir depuis près d’un an après mon traumatisme surprise du Roadburn l’an dernier..
Un public timide s’agglutine devant le trio de Menton qui ne dit mot tout en montant sur scène. Un silence paisant dans la fraicheur de la cave, de rapides salutations, et sans prévenir un GROS coup de poing dans la face. Aux premiers riffs je me dis qu’ils doivent vénérer le yobisme (période « The Great Cessation ») et être adeptes de l’ordre conanique, me rappelant vaguement les autres français de Crackhouse ou encore Greyfell. De la lourdeur, des voix perdues dans la reverb, un tourbillon de grésillements étourdissants qui commencent à faire effet, nous hypnotisant en quelques minutes. CLYSTONE maîtrisent complètement leur univers musical, n’ont aucune difficulté à investir la scène, et enchaînent les raclées sans trop difficulté, ce qui commence à plaire à l’ensemble de la salle qui les acclame au moment de rendre les armes. Mention spécial au batteur qui me rappelle beaucoup celui de Suma par son jeu de scène ultra bourrin, tapant sur ses énormes toms et grosse caisse comme si ça vie en dépendait. L’impatience se fait sentir lorsque leur show prend fin !
Place au familier trio de Toulouse, qu’on surnomme assez facilement les Electric Wizard français. Leur réputation n’est plus à faire, en deux albums ils ont su capturer plus d’une âme esseulée dans leur univers démoniaque très inspiré par les anglais sus-cités, en plus chaud et plus groovy. Malgré un son moins percutant que tout à l’heure, la mayonnaise noire commence à bien prendre, la foule est plus présente, et le concert tout aussi enivrant. Je dirais même que nos sens disparaissent peu à peu. Nous flottons dans un air vicié un peu comme lors de la venue de Monolord en octobre dernier. Nous sommes de plus en plus anesthésiés par les vibrations produites par leur nouveau matériel (cet ampli Green violet sur la guitare est tout récent il me semble). WITCHTHROAT SERPENT jouent avec les tri-tons comme Lucifer avec ses esclaves vampires, dans un recoin sombre des Enfers, la voix nasillarde et envoûtante du chanteur jette quelque maléfice inconnu sur le public qui se perd peu à peu dans ses pensées, se laisse mener sans broncher, se sent pousser des cornes sur l’encéphale… Puis nos cerveaux grillent sur une outro faite de bruit blanc et de variations sonores mystiques produites par les pedalboards. L’impatience se fait encore sentir lorsque que ce grabuge s’arrête.
A peine le temps de faire une pause, nous voici déjà au troisième chapitre de la soirée, qui va totalement annihiler les deux précédents (désolé pour les groupes, mais ce qui va suivre semble avoir réellement provoqué une amnésie générale au sein du public après les faits). Je ne pensais pas dire ça un jour, mais SUMA m’a fait plus d’effet en un seul show que les derniers concerts d’Amenra que j’ai pu voir. Mon objectivité et ma logique s’effaceront donc au fur et à mesure des lignes que j’écrirai, comme mon cerveau qui s’est retrouvé broyé dans un tzatziki de Doom malsain, titre après titre. Ce n’était pas fun. Suma n’est jamais fun. D’ailleurs pour les novices, notez bien que Suma est l’anagramme d’ovni. Ses quatre musiciens semblent perdus dans leur propre tête, yeux clos tout du long, et pourtant ils pulvérisent dès les premiers titres une assemblée de curieux qui se réduit peu à peu, tout en gardant une précision bluffante. La basse, lourde et suave, enveloppe de tristesse nos tympans, et le chant lointain de celui qui la manie (rappelant Scott Kelly et Jon Davis) nous donne envie de hurler toute notre haine du monde. La guitare noyée de reverb et de delay créer quant à elle des mélodies stratosphériques qui donnerait envie de s’enterrer vivant. A cela s’ajoutent des sonorités complètement diformes, balancées par on ne sait quelle table de mixage en arrière plan. Quand elles ne servent pas à torturer nos synapses, elles appuient les autres instruments en créant un effet de lévitation indescriptible, assez proche de la musique de Ufomammut, en plus transcendante et méditative. Et n’oublions pas bien entendu ce batteur, aussi brutal et possédé que Travis Owen, la joie de vivre en moins, et qui, recroquevillé sur ses fûts, frappe toujours aussi fort en faisant une grosse partie du show avec des enchaînements de malade mental.
Un set composé quasiment à 50/50 de The Order of Things leur dernière perle de 2016, et de Let The Churches Burn, sorti 10 ans plus tôt. Suma prend son temps dans sa discographie ainsi qu’en live, mais son efficacité redoutable commence par un trauma crânien, qui se répand peu à peu dans nos membres. La musique froide, lourde et mécanique, venu d’un autre temps, fait ressurgir des sentiments négatifs et nous fait presque oublier que nous sommes sur Terre. Jusqu’à une pause très courte suivie d’un rappel pour deux derniers titres. Deux dernières doses de masochisme mental, et nous voici entièrement lessivés, réduit à l’état de gelée flottant dans des corps fragiles, titubant lamentablement vers la sortie, bégayant des phrases sans aucun sens. Castor mutant. Je. C’est la fin. Qu.
PS : comme si le mois de mai n’était déjà pas suffisemment lourd avec son soleil de plomb, retenez bien que Make It Sabbathy organise une autre lourde soirée 100% Doom français avec les merveilleux Stonebirds et Witchfinder, toujours au Void, le jeudi 31 !
Last modified: 12 mai 2018