Notre report de la très retentissante édition 2016 du MOTOCULTOR FESTIVAL touche à sa fin, avec l’une des journées les plus chargées en doom mais aussi en rock’n’roll. Retour sur un dimanche à Saint Nolff au milieu des cornes de brume géante, nuages de poussière et autre THC, et riffs décadents, avec entre autres Bongzilla, Conan, Ministry, Testament, Graveyard, Nashville Pussy and so on. (PHOTOS : Pierre Le Ruyet)
Ce matin, le réveil est tardif. Un peu trop même. C’est un mec jouant du trombone à trente centimètres de la tente qui me sort d’un état de fatigue avancé. Je réalise que j’ai loupé la moitié de la matinée, en particulier le concert de POESIE ZERO (dont je n’entendrai plus tard que du bien, paraît-il un concert essentiellement composé de taboulé oriental et d’insultes). Je me prépare difficilement à partir et revoir un excellent groupe de l’hexagone, qui officie dans un stoner psyché raffiné et envoûtant : STONEBIRDS. Je garde un très bon souvenir de leur concert pour la 20ème des Make It Sabbathy au parc du Rocher de Palmer à Cenon, non loin de Bordeaux. C’est avec plaisir que je revois la petite tête frisée du chanteur/guitariste aux allures de Sam Gamgie barbu, accompagné de son imposant bassiste ressemblant lui à une version française de Saruman, armé de sa magnifique cinq cordes fretless (dont il se servira à la perfection tout du long, et les bassistes savent que ce n’est pas évident de jouer de cet instrument). Je suis trop loin pour apercevoir le batteur et faire une comparaison tolkienesque, comme pour les deux autres. Je me pose à terre et me laisse bercer par leurs sonorités lourdes et légères à la fois, comme si le nom même de leur groupe s’illustrait musicalement dans mon esprit. Un concert passé beaucoup trop vite, et déjà nous devons enchaîner.
Les finlandais de LOST SOCIETY viennent de commencer leur set lorsque nous arrivons, une pinte de cidre blanc à la main. On avait pris une bonne fessée au Brutal Assault malgré le son un peu brouillon… Ici, rien à redire, toujours la même énergie et des riffs qui butent. Un des rares groupes de thrash devant lequel je prends réellement du plaisir et sens des envies de taper tout ce qui m’entoure. C’est la dernière date des jeunes scandinaves, et ils en profitent pour mettre un sacré bazar en concluant avec « I Am the Antidote » et « Riot », puis s’en vont sous les acclamations. Un groupe prometteur à suivre de très près, pour peu que vous aimiez la simplicité et l’efficacité, ambiance casquette à l’envers et jeans troués. Changement total de registre avec un autre groupe qui a bercé mon adolescence, et qu’on aimerait voir passer plus souvent dans le pays (Ragnard Rock, si vous me lisez).
Les gros barbus danois de SVARTSOT arrivent sur scène, visiblement heureux et détendus, et entament leur folk/pagan death dansant, un brin kitsch mais très efficace. C’est instantanément le foutoir dans la fosse : nuage de poussière et slams non stop se mêlent à des giclées de bière. Pour une fois, l’ambiance s’y prête bien, et les gogoles avec des cornes d’1m25 sont tout à fait intégrés à ce type de concert (contrairement à celui qui va suivre). Je reconnais quelques titres de l’album que j’ai passé en boucle à une époque regrettée, parmi lesquels « Gravølett » qui m’oblige à foncer dans le tas malgré la fatigue et la couche de saleté d’1mm collée à ma peau. Un bon défouloir avant une petite pause au camping pour se préparer au pilonnage de tympans qui va suivre…
Si j’avais pu m’attendre un jour à voir le trio CONAN trois fois en trois semaines… Mes oreilles me supplient de les laisser tranquilles, mais c’est plus fort que moi : je me rapproche au maximum des Anglais, dans une foule assez compacte et visiblement venue les accueillir comme il se doit. C’était un vrai bain de vibrations pendant près d’une heure au Void de Bordeaux (malgré l’absence de Chris Fielding et son growl caverneux), c’était le même cassage de gueule au Brutal Assault la semaine dernière (avec pour le coup le retour de Chris), et aujourd’hui, même chose : de la violence sonore. Une grosse place est laissée aux titres du dernier album Revengeance, ceux qui tapent plus vite, plus fort, et font croire à quelques non-initiés qu’il est possible de pogoter voire même de slammer (j’en repère un qui vient de réaliser au moment de sa chute qu’il n’est plus devant Svartsot). Énorme surprise dans la setlist : « Sea Lord » de l’album Horseback Battle Hammer, qui me laisse sonné. Peu de temps après, les British nous achèvent avec « Earthenguard », à mon sens le meilleur titre de leur petit dernier… 12 minutes de riffs pachydermiques et psychédéliques qui laissent une foule totalement retournée à la fin du concert. Assurément un des meilleurs shows de tout le festival.
Un peu de calme et de volupté maintenant, avec les somptueux suédois de GRAVEYARD. Je titube encore depuis l’autre chapiteau, tout retourné par le doom massif qui a déstabilisé mon oreille interne durant une heure. J’arrive à me positionner sur le côté droit, mais très vite l’envie me vient de m’étendre par terre, plus loin, pour écouter leurs mélodies bluesy et berçantes. Je suis littéralement incapable de tenir debout plus longtemps ou de faire un quelconque mouvement. En fermant les yeux, je me dis qu’on devrait développer ce concept de « sieste-concert », car Graveyard s’y prête énormément. Je ne les écoute que depuis moins d’un mois et ne pourrais vous faire d’autre description de leur son qu’en les comparant à des formations contemporaines telles que Blues Pills ou DeWolff, ou encore les éternels Pink Floyd qui auraient copulé avec Led Zeppelin… Rien que ça !
La sieste à peine finie, nous devons déjà retourner en arrière pour une autre raclée doom, made in US cette fois. L’air semble encore empester depuis le départ de Conan alors qu’un autre monstre s’apprête à prendre le relais… Première date française pour BONGZILLA, créature malodorante venue du Wisconsin et officiant dans un doom/sludge gras qui rappellera pour certains Weedeater, en plus lent et plus enfumé (oui, c’est possible). Réglages d’amplis, énormes joints allumés et tendus par un roadie dont le taf ne consistera qu’à ça durant tout le show, et les premières baffes s’abattent lentement, très lentement… La voix déchirante de « Muleboy » enveloppe la foule et résonne dans tout le chapiteau, comme si la créature verte et défoncée sortait réellement des amplis Green. Pour être honnête, je crois que même un concert d’Ahab est plus rapide. Une grande part est laissée à l’improvisation, à tel point que je me demande l’espace d’un instant si les membres se connaissent et ont déjà joué ensemble. Il semblerait que oui, car ils se regardent souvent, les yeux vitreux, jouent d’un accord, le laissent sonner… puis soudainement nous envoie des titres lourds tels que « Greenthumb », un de mes titres préférés, un des plus énergiques et rythmés, peut-être même trop pour certains qui commencent à… pogoter. Oui, encore. Ils se heurtent à une foule quasi-immobile qui leur fait comprendre qu’ils n’ont rien à foutre là. Et pourtant, ils continuent, me sortant plus d’une fois de ma torpeur. Je ne tiens plus lorsqu’un de ces idiots nous bouscule un peu trop : je le chope et l’envoie loin sur le côté, le doigt dressé pour lui faire comprendre qu’il arrête ses conneries. Malheureusement, je n’ai pu apprécier la fin de la prestation du groupe, qui semble lui même dépassé par les événements : on leur fait signe qu’ils n’ont plus le temps pour un dernier titre. Ces derniers s’en vont, sous les acclamations et un nuage épais de THC…
Petite pause au campement pour me calmer et nous préparer au dernier enchaînement fatal du week-end. Le Rock à l’état pur. Voilà tout ce qui me vient à l’esprit lorsque je me retrouve face à eux. Je connaissais le nom des NASHVILLE PUSSY depuis un certain moment, mais je n’avais écouté que d’une oreille distraite sur internet… Si j’avais pu m’attendre à une telle fessée « à l’ancienne ! », comme dirait un ami. Nom d’un Lemmy ! Grosses guitares, Jack Daniel’s, jeans sales, sex appeal, et décrochage de nuques au rendez-vous. Des riffs ultra efficaces et qui prennent tout leur sens sur scène, avec une réelle effervescence dans la fosse depuis les premiers rangs jusqu’au fond du chapiteau, où je reste campé avec mon groupe d’amis au complet. L’amour, la musique, l’alcool, la drogue, la vie tout simplement. Voilà ce que m’évoque le son de ces endiablés de Georgie. On oublie instantanément ses problèmes quand on se retrouve devant un tel concert. Je pars dans des réflexions intérieures qui me confirment au fond de moi que le Hard Rock est la plus belle musique du monde, la plus bestiale, la plus viscérale et émotionnelle que l’Homme ait créée depuis des millénaires (avec le black metal – avis totalement subjectif). Je ne regrette pas un seul instant d’avoir loupé DYING FETUS jouant quelques mètres à côté (déjà vus au Motocultor 2013). J’ai mal au cou lorsque le concert se finit, mais la bonne nouvelle c’est que d’autres américains prennent le relais juste à côté…
Encore un des rares groupes de thrash metal que je peux réellement apprécier en studio comme en live. Selon moi, TESTAMENT devraient figurer dans un « Big Five » du Thrash américain avec Metallica, Anthrax, Slayer et Exodus, et ils remplaceraient les désormais pathétiques Megadeth (non, je ne supporte pas ce groupe, soporifique au possible). Quand on voit la violence et la passion avec laquelle les californiens déversent des décibels dans la tronche d’un public de festivaliers de plus en plus enivrés… Je n’ai jamais vu autant de bagarre dans une fosse depuis bien longtemps (peut-être depuis All Pigs Must Die au Hellfest il y a deux mois, mais c’était une fosse beaucoup plus petite et à peine réveillée). Ca slamme de partout, ça bouscule, des wall of death si nombreux qu’on ne sait même plus si c’en sont vraiment. Je suis comme monté sur ressorts et décide moi-même de m’élever au-dessus de cette marée de gens, dans un moment de folie, possédé par les riffs guerriers de ce concert qui passe à une vitesse folle.
Changement totale d’ambiance. Quelque part dans une forêt, l’obscurité. D’étranges artefacts sont placés en amont, sur une petite scène. Ce promontoire ténébreux voit débarquer des silhouettes encapuchonnées, tout droit venues d’Europe de l’Est : BATUSHKA. Ce saint nom est sanctifié par une voix caverneuse et profonde. Les fumées d’encens se répandent dans la fraîcheur de la nuit, et le black metal lourd et envoûtant des polonais commence sa procession, lente, mystique, éclairée de lumières jaunes et oranges, jouée comme une pièce de théâtre d’un autre monde. L’album Litourgiya est interprété dans son intégralité, avec une difficulté cependant pour faire ressortir les choeurs magnifiques en arrière plan (qui sont la force de ce projet et ce qui leur a valu un certain succès). J’arrive à apprécier ce concert d’une grande originalité, malgré sa totale immobilité. Les membres semblent figés, comme des statues noires sorties d’une autre dimension, louant des dieux sombres et inconnus. On ne pouvait pas rêver mieux comme cadre que cette forêt bretonne, cette douce pente herbeuse et une assemblée de brebis égarées qui ouvrent grand leurs yeux et leurs oreilles jusqu’à ce que la dernière messe soit prononcée. Les lumières s’éteignent, et les capuches noires disparaissent dans la fumée. Que vient-il de se passer ?
Quoi de mieux pour se réveiller que les légendes de l’indus metal pas du tout raffiné et 100% engagé MINISTRY ? Nous voici prêts à partir dans une explosion de riffs barbares, froids, et millimétrés. Une setlist absolument superbe qui commence très fort avec des titres tels que « Lies, Lies, Lies », « Señor Peligro » ou « Rio Grande Blood »… Un véritable carnage bercé de stroboscopes, images glitchées projetées en fond de scène, le tout dans un vacarme douloureux pour les tympans comme pour les jambes… mais quel pied ! « N.W.O » débarque sans prévenir pour rajouter de l’huile sur le feu. Le grand Al Jougersen est étonnamment en forme comparé à la tournée de 2012 où je les avais vu pour la première fois, ça fait vraiment plaisir à voir ! « Jesus Built My Hot Rod », « Just One Fix » et « Thieves » m’achèvent totalement. Je peine à rentrer au campement après ça, en me disant que ça y est, c’est déjà fini…
Cette édition du Motocultor fut à mon sens la meilleure depuis 2012. Presque aucun problème d’organisation, les quelques changements de line up n’ont pas eu beaucoup d’incidence sur la prog générale, l’ambiance très bonne malgré quelques comportements inappropriés en concert, et nom de Zeus ces groupes… Pas une seule déception, et c’est une première dans ma « carrière » de festivalier ! Même les rares points négatifs de certaines prestations ont été très vite occultés par les suivantes, au même point que la météo désastreuse du premier jour. Quelques 20 000 entrées ont été enregistrées, et l’augmentation ne se sera même pas fait sentir tant le terrain a été préparé à l’avance, les scènes bien organisées, l’espace bien géré… On espère pouvoir assister à une édition 2017, si possible de ce cru, ou meilleure encore ! L’avenir nous le dira.
Last modified: 12 octobre 2016